Jean Faucheur

« Figure incontournable de l’art urbain » en France depuis 35 ans, s’est consacré aussi bien à la peinture qu’à la sculpture, au dessin, comme à la photographie. La vidéo, la musique, et les installations font partie de sa palette technique. Il est le fondateur de Le M.U.R. et a participé entant conseiller artistique de la Fondation Cartier pour l'expo« Né dans la rue –graffiti », de la «Nuit Blanche» (2014), de l'expo "Oxymores" (Ministère de la Culture), "Aux tableaux" à Marseille (2015). Cette pluralité/transversalité de talents en fait un artiste inclassable sur la scène artistique contemporaine. Les formes multiples d’expression qui sont les siennes ainsi que sa grande sensibilité, sont lasignature d’une œuvre paradoxale dont la force est irrésistible.

- Tony Shafrazi (Galeriste, NYC) : ‘’le chemin qu’il a choisi de prendre est, par sa difficulté même, le seul qui mène quelque part.’’

- Sarah Mattera et Patrice Chazotte (Studio 13/16, Centre Pompidou): ‘’Jouer le flou pour dire le vrai, c’est ainsi que nous pourrions qualifier le travail de ce grand artiste qu’est Jean Faucheur.’’

- Pierre-Evariste Douaire (Rédacteur en chef à Art Interviews): ‘’Jean Faucheur est une icône de l’underground parisien. Rock star avant l’heure, il a été de tous les mouvements « indé » du début des années 80. Personnalité attachante mais mystérieuse, il est adulé mais reste en marge. Prolifique et chef de bande, il a été l’instigateur des Frères Ripoulin. Les petits « Frenchies », managés comme un groupe de rock, s’appelaient Jean Faucheur, Claude Closky ou encore PiroKao alias Pierre Huyghe. Esprit libre il a toujours préféré les combats incertains aux succès commerciaux faciles. Attiré par les feux de la rampe autant que par l’anonymat, il utilise toujours le clair-obscur pour se cacher et se montrer mais jamais pour se dévoiler. Dans sa peinture il prend le soin de faire disparaître son sujet, comme s’il cherchait à se débarrasser d’une pièce à conviction trop encombrante. Où est la photographie dans les peintures de Jean Faucheur ? Où se trouve le photographique dans ces peintures tramées à l’acrylique ?
Répondre à ces questions permettrait de comprendre pourquoi l’artiste joue à cache cache avec nous, depuis près de quarante ans!’’

- Guido Reyna (Psychanalyste) : ‘’Tout en nous entrainant dans un jeu d’oscillation entre l’être et son semblant, menant le spectateur à la fois dans la scène représentée et hors des limites de la toile, (Jean Faucheur) nous questionne sur notre position désirante dans le monde. ’’

- Philippe Kong et Jonathan Nakache : ‘’Son œuvre fait-elle penser au pop art? A Andy Warhol? A Keith Haring? Aucune chance, c’est un inclassable, et c’est là tout son intérêt. (...)L’œuvre de Jean Faucheur flirte, et on ne saurait trouver d’autre verbe plus approprié, avec l’irréel et le réel, le visible et l’invisible pour vous faire vivre une expérience de corps inédite.’’

- Emmanuel de Brantes (Galeriste): ‘’Sa disponibilité est sans faille, sa créativité sans bornes, sa sensibilité permanente. (...) Nul doute que ce chemin, comme le suggérait Tony Shafrazi il y a vingt ans, soit le seul qui mène quelque part.’’

"Le radeau de la Méduse" Posca sur affiche imprimée 50cmx70cm 2014

"Le radeau de la Méduse" Posca sur affiche imprimée 50cmx70cm 2014

Entre visible et invisible, une expérience de perception !

D’entrée de jeu, on est bousculé dans notre rapport propre à la perception. Jean Faucheur joue, serait-il un petit malin?, avec le spectateur. Pour voir, il nous oblige à passer par un moment d’aveuglement. La pixellisation, la distorsion, les agrandissements et réductions, les découpages d’une couche sur une autre, entremelages de plusieurs strates et superpositions sont autant de techniques qui viennent faire barrage à un accès direct à la photographie qui git derrière. Est-ce suffisant? Non. Il va utiliser l’acrylique, la peinture à la bombe et les couleurs pour flouter, voiler, déranger la vision. Décidément, Jean Faucheur ne se livre pas, ne livre pas son travail au premier venu. C’est un anti-conformiste.
Il exige de nous un effort pour percevoir, pour voir. Le donner-à-voir chez Jean Faucheur, ne plie pas l’échine devant le bien séant, ne croyez pas que ces tableaux iront bien avec vos rideaux. Accepter d’être bousculer, de chercher la bonne distance en tâtonnant : approchez-vous, ça vous laissera perplexe,  éloignez-vous, et vous aurez accès à une autre perspective. En changeant d’axe de vision sur le tableau, un autre monde s’ouvre à votre perception. Son œuvre fait-elle penser au pop art? A Andy Warhol? A Keith Haring? Aucune chance, c’est un inclassable, et c’est là tout son intérêt. Alors oui, cela mérite qu’on s’y attarde.

Lacan soutenait que « dans la perception, c’est l’expérience vécue qui doit être supposée à toute analyse réflexive effectuée par la suite et une illusion s’impose avant que le sujet observe la figure, élément par élément et la corrige » (Propos sur la causalité psychique, Ecrits, p179). Jean Faucheur serait-il lacanien comme Monsieur Jourdain faisait de la prose? En effet, le travail de Jean Faucheur convoque le corps du spectateur, la vision viendra après ; chacun de ses tableaux est donc une expérience, un événement de corps. Arrêtez de penser, regardez avec votre corps, votre corps face au tableau est une nécessité, ressentez les formes les couleurs et seulement le voile se lèvera, et votre oeil verra la figure cachée.

Merleau Ponty aurait sans doute trouvé chez Jean Faucheur l’illustration parfaite de sa thèse dans « la phénoménologie de la perception » : « Je perçois d’après la lumière comme nous pensons d’après autrui ». De se laisser tout entier submergé dans l’atmosphère de couleur et de structures formelles de Jean Faucheur, de suivre l’éclairage qu’il propose, est une étape première nécessaire à produire dans un temps second, la possibilité de voir pour soi, enfin! A chaque oeuvre correspond une rencontre obligée : le spectateur voit avec le regard de Jean Faucheur.

Apres cette traversée, que reste-t-il à voir?

Un visage, un sourire, une épaule nue, une chute de reins? C’est à la discrétion de chacun, une fois la figure dévoilée, de se trouver face à face avec sa propre intimité. L’abstraction a précédé la figuration, et la figuration dernière croit montrer ce qui était caché? Pas du tout, le concret de la figuration incarne le leurre de l’illusion dernière. Non ce n’est pas une femme qui se découvre, non ce n’est pas le sourire d’un visage qu’on voit enfin, c’est le voile, - et notre corps en tressaille -, c’est le voile même de l’érotisme qu’on découvre, qu’on ressent dans l’émotion soudaine qui vous traverse.

L’œuvre de Jean Faucheur flirte, et on ne saurait trouver d’autre verbe plus approprié, avec l’irréel et le réel, le visible et l’invisible pour vous faire vivre une expérience de corps inédite.

Paris, novembre 2015

Philippe Kong Psychanalyste, Fondateur du séminaire interactif http://Facebook.com/atelierpsy et Jonathan Nakache Infographiste, amateur d'art contemporain

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                                                             Sans titre acrylique sur toile imprimée 2015


Où est la photographie?

La Galerie ADDICT poursuit depuis plusieurs expositions un regard singulier sur le genre photographique. C’est pour cette raison qu’elle s’interroge aujourd’hui sur les liens ambigus unissant la photographie et la peinture, à travers le parcours atypique d’un peintre d’exception.
Jean Faucheur est une icône de l’underground parisien. Propulsé sur le devant de la scène, il a été de tous les mouvements « indé » du début des années 80. Personnalité attachante mais mystérieuse, il est adulé mais reste en marge. Respecté pas ses pairs, il est injustement sous estimé par le marché.
Prolifique et chef de bande, il a été l’instigateur des fameux Frères Ripoulin. Ce groupe de gais lurons collait leurs propres tableaux sur les panneaux publicitaires dans la rue. Leur succès fulgurant les a conduits en 1984 à New York, à la galerie Tony Shafrazi où se croisaient Warhol, Basquiat et Keith Haring. Les petits « Frenchies », managés comme un groupe de rock, s’appelaient Faucheur, Claude Closky ou encore PiroKao alias Pierre Huyghe. Le Centre Pompidou consacrait à ce dernier une rétrospective majeure en 2013, à tout juste cinquante ans.
Jean Faucheur, le jeune-homme surdoué, sorti major des Arts Déco ! excusez du peu, présentait un Solo Show à la Fiac de 1990, chez Agnès B. Résultat des courses, le stand était sold out avant la fin de la foire. Toutes les pièces avaient trouvées preneur ! Mais Faucheur en esprit libre qu’il était et qu’il est toujours, a préféré mener des combats incertains plutôt que de suivre un plan de carrière tracé à l’avance.
Vingt ans après ses premiers tableaux abandonnés dans la rue, comme des bouteilles à la mer, c’est la génération post-graffiti des années 2000 qui en fait son guru, terme qu’il assume car ce dernier devient le « miroir de l’autre ». Il n’hésite pas à prendre tout ce petit monde à rebrousse poil et à poursuivre son œuvre contre vents et marées.
Faucheur est autant attiré par la lumière que par l’ombre. Dans les deux cas, il se cache autant qu’il se montre. Il en est de même pour sa peinture. Il a toujours pris soin de faire disparaître l’objet de son délit. Les Ripoulin abandonnaient dans la rue leurs peintures mais pas leur ambition. Ils croyaient au crime parfait, partant du principe que s’il n’y avait pas de cadavre, il n’y avait pas non plus de crime.
Son « travail part toujours de la photographie », comme il aime à le répéter. Mais en bon franc tireur qu’il est, il s’ingénie toujours à brouiller les pistes, quitte à citer Alain Jacquet sans jamais le nommer. L’image photographique sera triturée, hachée, comme il le faisait au début des eighties en tressant des tirages Polaroïd, pour ne laisser que la trame de la pellicule apparente. L’image de base aura été contrastée au maximum, puis imprimée, c’est à ce moment là que le peintre entre en action et propose ses motifs colorés à l’acrylique.
Depuis 2012 sa peinture s’est pixellisée, ce qui lui permet d’interroger son obsession du visage et de sa disparition dans le portrait. La coulure dans ses toiles lui permet de camoufler « l’image de départ ». A partir de là, il peut commencer à expérimenter.
Où est la photographie ? est une exposition qui pose une question, celle de la distance qu’il faut opérer avec toute œuvre, pour qu’elle se révèle dans son entièreté. L’artiste aime semer le trouble, faire ciller le regard des spectateurs hagards. Où se niche la chambre noire dans ces peintures tramées ? Où se niche le négatif sur ces rouleaux de motifs cerclés ? Finalement où se cache Jean Faucheur dans ce travail qu’il porte en lui depuis quarante ans ?

Pierre-Evariste Douaire (Octobre 2015)

"La seine de l'Ile" Photographie 2015

"La seine de l'Ile" Photographie 2015

 

Un regard sur le désir

A propos de l’œuvre de Jean Faucheur

Si comme dit Lacan, à propos de la fonction du regard par rapport au désir, le tableau est le lieu de médiation par laquelle le sujet humain s’y repère,  Jean Faucheur fait état de cette dimension à travers ses interventions performatives dans l’espace urbain.
Depuis ses débuts avec l’occupation des panneaux publicitaires, les graffitis et la réalisation de ses œuvres en grande dimension sur papier, il nous convoque dans un lieu où en quelque sorte nous sommes le tableau, nous sommes regardés. En se servant des éléments de la réalité et de la rue - l’espace, la lumière, le mouvement- il en fait un miroir lacanien qui, tout en nous entrainant dans un jeu d’oscillation entre l’être et son semblant, nous questionne sur notre position désirante dans le monde.
Sa démarche serait d’autant plus lacanienne si l’on pense que, à partir des éléments qui constituent le chaos urbain, il réussit à fabriquer des trompe-l’œil, des « dompte regard » qui se donnent pour autre chose qu’ils ne sont pas. Dans ce sens, ces œuvres opèrent non pas seulement en tant que des semblants ou des illusions, voir des représentations, mais comme des gestes qui visent à dire ce réel qui « ne cesse de ne pas s’écrire ».
Or, si bien on pourrait dire que cela c’est le propre à l’œuvre artistique et à la quête de l’artiste, en ce qui concerne le travail de Jean Faucheur sa singularité est sans doute l’articulation constante entre l’intime et le public. Par cet éclatement entre le lieu du regard et du « regardé », éclatement qu’il déplace constamment entre l’atelier et la ville,  il vient nous rappeler que si le désir est le désir de l’Autre ce mouvement il peut aussi le donner-à-voir en mouvement, puisqu’il est toujours autour de nous.
Et si à travers de son œuvreJean Faucheur prend acte du fait que l’objet, les objets, du désir nous entourent sans cesse, il introduit justement par son intervention des effets de coupure entre : l’omniprésence de ces objets qui sont à la fois désirables et angoissants et la démarcation subjective et singulière dans laquelle le désir authentique de tout un chacun peut trouver sa place. Ou comme dirait Lacan, par son œuvre Faucheur « apaise, les gens, ça les réconforte, en leur montrant qu’il peut y en avoir quelques-uns qui vivent de l’exploitation de leur désir », tout en démontrant que ce désir se trouve aussi, toujours, dans la rue.
A ce titre, ce qui est mis en exergue par Faucheur dans son œuvre serait donc justement ce qu’en termes lacaniens se profile comme un indice de ce par quoi le regard tient lieu de support du désir, de sa contingence, de son oscillation entre la fascination et l’angoisse, sans pour autant oublier la part qui se joue de par l’intervention et les extensions du corps - ou plutôt « des » corps : de l’artiste, du spectateur, de l’œuvre même.
Jean Faucheur en ferait ainsi une monstration de la dimension pulsionnelle du regard, et du rapport du regard à l’objet du désir qui l’institut en tant que manque, dans deux gestes que l’on pourrait associer à la dynamique du ruban de Moebius. L’utilisation que Lacan fait de cette figure topologique, nous permet donc imaginer qu’il y a dans la démarche de Faucheur les deux versants :
    •    De l’intérieur même du corps de l’œuvre, puisqu’il explore ce qui est du manque en trouant la complétude illusoire de l’image, en la faisant apparaitre/disparaitre à travers des taches de peinture, des tressages, de collages, de la pixellisation.
    •    De l’extérieur, dans l’expérience corporelle interactive spectateur, et du fait de son mouvement/immobilité,  car il fait éclater la structure bi dimensionnelle de l’œuvre grâce à la prolongation dans l’espace des lignes de la perspective, à la fabrication des labyrinthes constitués par le dispositif d’installation et à des jeux avec la lumière.
En ce sens, nous pourrions situer la quête de l’artiste dans la lignée de ce que Velázquez a pu rendre dans son célèbre tableau « Les Ménines », et dont on dit que Théophile Gauthier s’écriait en le voyant pour la première fois : « Où est le tableau ? ».
Car cette question de la circulation du regard, provoquant un sentiment de présence invisible qui se dérobe et menant le spectateur à la fois dans la scène représentée et hors des limites de la toile se trouve présente, d’une manière « physique », tout au long de la production de Jean Faucheur.
Et si comme le dit Lacan, à propos de son invitation à voir « Les Ménines » comme un acte où le regard s’inscrit, à la fois présent et voilé, comme une mise en question notre existence même nous ajouterons, concernant l’œuvre de Jean Faucheur, qu’il vient mettre en scène ce que de notre désir peut « prendre corps » dans « l’acte de regarder ».

Guido Reyna
Paris, Juillet – Aout 2015

"Gabriele" aérosol sur toile imprimée 130cmX90cm 2011

"Gabriele" aérosol sur toile imprimée 130cmX90cm 2011

 

La figure incontournable

 
Il est aujourd’hui considéré par les institutions culturelles et par l’ensemble des artistes du mouvement graffiti comme « la figure incontournable » de l’art urbain en France. Il est, en ce moment même, l’une des forces motrices de l’exposition « Né dans la rue » à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, orchestrant pour elle la réalisation d’œuvres sur papier qui seront par la suite affichées sur un espace qu’il a contribué à créer, le M.U.R. de la rue Oberkampf, premier musée à ciel ouvert de la capitale française. Y ont déjà été exposés Obey, Honet, Swoon, L’Atlas, Sun7, Babou, C215, ZEVS, Hermes, Pierre Huygues, Gérard Zlotykamien, Jacques le La Villeglé et bien d’autres. Pourtant, Jean Faucheur n’a jamais posé un tag de sa vie, jamais bombé son blaze sur un mur. C’est le paradoxe de ce passeur qui incarne avec une infinie humanité le lien entre les précurseurs de l’art urbain et les étoiles montantes du graffiti.
Remontons dans le temps et revoyons la genèse de ce parcours hors des sentiers de la gloire. Au début des années 1980, Faucheur sort premier des Arts Décoratifs de la rue d’Ulm. Il y avait été reçu dernier. Installé dans un petit atelier à Versailles, il réalise à l’huile ou à l’acrylique des œuvres sur papier qu’il roule en cylindres légers et met de côté. Quelques mois plus tard, en 1983, conscient du nouveau courant qui voit le jour aux Etats-Unis avec Basquiat, Futura 2000 ou Keith Haring, et amateur du travail de la Figuration Libre dont il a vu quelques expositions, Faucheur décide d’afficher sa première œuvre sur un panneau publicitaire dans la rue de son atelier, rue d’Artois, non loin de là où habite Nancy Mitford, auteur de « Noblesse Oblige ». Il enchaîne ensuite avec Issy-les-Moulineaux, puis le quai de Beaugrenelle à Paris, puis les boulevards Saint Germain et Sébastopol, enfin la sortie du RER des Halles où ses compositions interpellent avec force les passants trop habitués à la présence triomphante de la publicité. « Faucheur aime la peinture sauvage » y lit-on. Toujours plus de panneaux couverts, toujours plus de monde pour les voir. L’artiste a atteint sans le savoir son apogée d’affichiste au point qu’un groupe nommé « Les Frères Ripoulin » lui demande s’il peut lui emprunter sa technique de collage sur panneaux publicitaires. Paris conquis, où aller à partir de là ? New York ! Tony Shafrazi qui expose Basquiat et Haring découvre le travail de Faucheur et l’invite à venir coller ses affiches dans la Grosse Pomme. Une sorte de rêve américain se profile…
À New York, Faucheur partage un atelier avec Hervé di Rosa et rencontre tout ce que la ville compte d’artistes, à commencer par Kenny Sharf chez qui il loge un temps et Keith Haring avec lequel il se lie d’amitié. Un an plus tard, c’est tous les sept Ripoulin (Mahnu, Piro Kao, Blablabla, 3 carrés, Ox, Claude Closky, et Faucheur en frère aîné) qui débarquent à New York pour un « group show » chez Shafrazi, ce fou génial qui avait en 1974 taggué le « Guernica » de Picasso d’un énigmatique « Kill lies all ». La relation avec New York s’est poursuivie encore un an lorsque Faucheur est revenu, lauréat de la Villa Médicis, pour faire ses six mois de résidence hors les murs. Il y revisite le cubisme et réalise une collection d’œuvres à la manière de Braque et de Picasso, les maîtres de l’expression moderne de l’esprit français. Tony Shafrazi, interloqué, lui annonce qu’il ne veut plus travailler avec lui mais que le chemin qu’il a choisi de prendre est, par sa difficulté même, le seul qui mène quelque part.
Quinze ans plus tard, Jean Faucheur est à Paris. Il a fait l’ouverture de la galerie d’Agnès b. rue Dieu, s’est lancé dans ses premières sculptures, des créations si poétiques qu’elles sont aujourd’hui allégrement copiées, a inventé une nouvelle forme de tissage photographique qui s’apparente plus à de la sculpture, noirci du papier à ne plus savoir où le stocker. Et justement, c’est en 2001 qu’il rencontre Tom Tom sur la Place sans Nom, à l’angle de la rue Saint Maur et la rue Oberkampf, là où se trouve de nos jours le M.U.R. Celui-ci est en train de détourner une affiche publicitaire en la lacérant au cutter. Les deux sympathisent et l’idée s’impose alors de sortir les grandes affiches de Faucheur de leurs cachettes en Normandie ou à Épinal et de les coller à cet endroit. Très vite, la génération du graffiti des 20-25 ans remarque et apprécie ce travail respectant le même code de l’éphémère que le sien et se prend au jeu. Un cycle d’exposition est monté, « Explosion/Implosion », et connaît une telle affluence d’artistes voulant y participer qu’une nouvelle idée germe dans l’esprit de Faucheur : un collage spectaculaire et massif d’œuvres d’art sur papier en une nuit sur les panneaux publicitaires du 11ème arrondissement. L’opération s’appellera « Une Nuit » et permettra l’affichage urbain de 63 peintures originales. Un collage si réussi qu’il fallut organiser « Une Nuit #2 », cette fois réparti sur toute la France et centralisé sur un site internet fédérateur.
C’est à cette époque-là que j’ai rencontré Jean Faucheur pour la première fois. Domoina, ma copine devenue ma femme depuis, m’a présenté à lui et à ce groupe de jeunes artistes du graffiti débordants d’énergie et de générosité qui l’avaient adopté comme grand frère. Nous avons partagé des aventures artistiques ensemble, monté des expositions-performances en Suisse et à Paris, ouvert notre première galerie, le Studio 55, vu les panneaux publicitaires de la rue Oberkampf retirés par l’affichiste puis réintroduites par la Mairie de Paris et confiées à l’association le M.U.R. (Modulable Urbain Réactif), fondée par Faucheur. Sa disponibilité est sans faille, sa créativité sans bornes, sa sensibilité permanente. Il cristallise autour de lui les espoirs de toute une génération montante d’artistes qui ont vu à quel point la vie de Faucheur est partagée entre des phases de création personnelle et des phases de partage absolu. « Année après année, analyse Daniel Cresson dans l’ouvrage de référence sur Jean Faucheur (« Jusque là tout va bien », éditions Critères Urbanités, 2004), le chemin continue comme une exigence, une discipline, entre une tradition picturale forte et un quotidien omniprésent ». Nul doute que ce chemin, comme le suggérait Tony Shafrazi il y a vingt ans, soit le seul qui mène quelque part.

Emmanuel de Brantes (2009)

 

"La mort de Sardanapal" aérosol sur papier dos bleu imprimé 190cmx230cm 2012

"La mort de Sardanapal" aérosol sur papier dos bleu imprimé 190cmx230cm 2012